La Suisse a toujours été retardataire en matière de droit des femmes*, comparé aux autres pays européens. Nous avons obtenu le droit de vote au niveau national qu’en 1971, alors qu’il a été introduit en 1918 en Autriche et en Allemagne, et 1945 en Italie. C’est six années après que les États-Unis aient généralisé le droit de vote sans discrimination raciste, permettant enfin aux femmes* noires de voter. Ce retard suisse ne peut s’expliquer que par une myriade de facteurs complémentaires. Durant les guerres impérialistes, les impérialistes guerroyants devaient employer une large main d’œuvre féminine, afin de faire tourner l’économie. En raison de la neutralité suisse, les femmes* suisses n’ont pas vécu une telle implication forcée dans le secteur du travail—bien que celle-ci a été, dans de nombreux pays, qu’un phénomène éphémère. Dans tous les cas, la mise en réseau des femmes* ouvrières et la formation de leur conscience, avec et par la lutte des classes, ont en tout cas laissé des traces. En Suisse, la contradiction entre leur sur-exploitation et l’absence de droits civils n’a pas pu être reconnue et résolue. Un autre facteur peut être attribué à la structure fédérale du pays, qui fait que de nombreux·x·ses activistes pour le droit de vote des femmes* se sont concentré·x·e·s sur l’obtention du droit au niveau cantonal. Ainsi, trois cantons, tous romands (Vaud, Neuchâtel et Genève), avaient déjà introduit le droit de vote des femmes* en 1960. Il a fallu attendre encore six ans avant de voir une nouvelle vague de cantons adopter cette même mesure.
Généralités sur la Suisse/contexte historique des droits des femmes
De la même façon, l’égalité homme-femme* n’a été inscrite dans la Constitution que le 14 juin 1981. Ceci s’est passé beaucoup plus tôt dans les pays avoisinant : 1946 en France et 1949 en Allemagne. Néanmoins, comme il est usuellement le cas pour de pareilles lois, elles ne sont pas appliquées correctement. Le plus choquant, est comment un canton a réussi à interdire les femmes* de voter au niveau cantonal jusqu’en 1991. La Confédération n’a forcé la main d’Appenzell Rhodes-Intérieur que 20 ans après que le droit de vote ait été obtenu au niveau national, et 10 ans après que l’égalité des genres ait été inscrite dans la Constitution.
Histoire de la grève des femmes
En 1991, dix ans après l’introduction de l’égalité des genres dans la Constitution, l’Union Syndicale Suisse (USS) a organisé pour l’anniversaire de la loi une grève dénommée “Grève des Femmes”. Le slogan principal était “Dix ans d’égalité… sur le papier!”. Elle critiquait l’inefficacité des autorités à concrètement mettre en place la loi, et proposait quelques solutions : l’égalité salariale, la protection des femmes contre la violence sexuelle sur le lieu de travail, des crèches abordables et une obligation des hommes d’exercer une par égale de travail de reproduction sociale à celle des femmes. L’appel d’une grève générale des femmes*, loin d’être une simple parade durant le temps libre des travailleur·x·euse·s, était combattu virulemment par les idéologues bourgeois·x·e·s dans les médias et dans le parlement. Ils dénotaient que l'action soi excessive. Un membre du Parlement s’est même permis de qualifier l’action de “bébête”. Mais les opposants à la grève n’étaient pas que des hommes: les soi-disant “féministes” libérales et conservatrices n’avaient, elles aussi, aucune solidarité ou empathie pour l’initiative.
La raison de la réussite de la mobilisation, et pourquoi cette grève n’a pu être surpassée que par deux occasions dans l’histoire de la Suisse, réside dans la lutte des classes. La grève est partie d'ouvrier·x·ère·s de l'horlogerie de la Vallée de Joux qui voulaient s'engager contre les différences salariales exorbitantes entre les genres et qui ont réussi à convaincre différents syndicalistes (dont Christiane Brunner comme figure centrale) de soutenir leur cause. Le succès de ce mouvement ne dépendait pas seulement de cette mobilisation syndicale réussie, mais il a réussi à s'inscrire dans un contexte international très particulier, où les actions et les mentalités se sont combinées pour produire un tel résultat.
Le 14 juin 1991 marque encore un des plus grands jours de la lutte sociale en Suisse. 100’000 femmes* ont fait la grève pour l’égalité des genres, et au total, quelque 500’000 ont participé d’une manière ou d’une autre. C’était la plus grande grève que la Suisse ait vue depuis la grève générale de 1918. Encore aujourd’hui ressent-on l’onde de choc qui a alors secoué l’histoire ouvrière. La simple énonciation de la grève sème la terreur sur la conscience bourgeoise—bien que la grève a été menée par le parti socialiste (PS) et coordonnée par les syndicats sociaux-démocrates, deux organes qui font partie intégrante du système bourgeois, et qu'elle n'a finalement pas obtenu grand-chose.
Un regard critique sur le statut de la grève féministe en Suisse
Avant que l’on commence à analyser les événements actuels, nous devons inspecter la trajectoire de la grève féministe. Malgré la combativité que la grève de 1991 témoignait à l’encontre du dogme bourgeois anti-grève, peu de demandes ont été formulées. Lutter pour les droits réels que l'État prétend accorder à un groupe opprimé est une excellente tactique pour les défenseurs des droits des citoyens, mais elle a ses limites. Notamment, elle suit le capitalisme sur son propre terrain. Un argument plus acéré est que le capitalisme n’est pas capable de réaliser cette égalité de droit, qu’il nous promet tout de même. En effet, l’oppression de genre est cousue dans le fonctionnement fondamental du capitalisme, qui ne peut pas se permettre de rémunérer le travail fait dans la sphère familiale. Ceci n’est qu’un exemple de la nécessité pour le système d’entretenir les femmes* comme couche opprimée du point de vue du capital. Ce système peut certes autoriser l’égalité des genres dans le droit, mais pas dans les faits. Pour parvenir à une réelle fin de l’oppression de genre, pour une véritable égalité, il faut mettre fin au mode de production capitaliste ! Toutes les autres demandes étaient somme toute bonnes, mais ne suffisaient pas. Les organisateur·x·rice·s de la grève croyaient que le droit à l’avortement et au congé maternité, étaient des demandes trop radicales pour le mouvement ! Similairement, peu d’efforts ont été réalisés pour représenter les besoins spécifiques des personnes racisées et LGBTQ+. Leur féminisme n’était donc pas que réformiste, mais aussi exclusif. Ce n’est donc pas surprenant que quelques-unes des plus proéminentes figures de la grève des femmes de 1991, telles que Martine Chaponnière, soient devenues de plus en plus islamophobes.
En 2011, une nouvelle édition de la grève a été lancée, mais elle a connu une forte baisse de combativité. Les femmes des partis bourgeois, qui avaient détesté l'idée d'une grève en 1991, ont maintenant défendu la nécessité d'une grève. Mais cette fois-ci, il n'y avait que quelques milliers de femmes dans les rues.
La grève féministe de 2019
En 2019, en réaction au mouvement #MeToo, l’USS s’est décidée d’organiser une nouvelle version de la grève, de nouveau pour le 14 juin,—bien que cette nouvelle “Grève des Femmes” a aussi été appelée “Grève Féministe”, malgré qu’elle ait été plus connue sous le premier nom en Suisse alémanique. Cette fois-ci, 500’000 personnes étaient dans les rues. Au contraire de la grève de 1991, les demandes se sont focalisées sur le féminisme intersectionnel. Des revendications spécifiques aux femmes* racisées et aux personnes LGBTQ+ ont été mises sur pied. L’appel à l’organisation de cette grève est issu de l’assemblée des femmes de l’USS, grâce à l’impulsion des femmes du syndicat des services publics (SSP). Suite à cet appel, environ 200 femmes* se sont rencontrées en juin 2018, pas toutes syndiquées ou organisées d’une quelconque autre manière, afin de lancer la grève de 2019. Alors, ces femmes* ont construit dans toute la Suisse les structures nécessaires à l’organisation d’une grève.
Le jour de la grève, de multiples actions spontanées ont eu lieu : des manifestes ont été écrits afin d’établir des listes de revendications spécifiques à certains secteurs (avant tout dans le secteur public). Les femmes* qui travaillaient dans le secteur privé avaient plus de peine à faire grève, dû au plus grand danger qu’y représente la répression des capitalistes. Mais ceci n’a en aucun cas empêché des femmes du service public d’exprimer leur solidarité et de formuler des revendications pour leurs sœurs* du secteur privé. Par exemple, les employé·x·e·s et étudiant·x·e·s de l’université de Lausanne ont fait des demandes pour le personnel de surface et des cafétérias, qui est employé par des entreprises privées.
Les conséquences internationales de la grève en Suisse
Voir une telle masse de travailleuses* descendre dans les rues était une inspiration pour les travailleuses* des pays occidentaux. La grève faisait les nouvelles en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche, aux USA et encore d’autres pays, à chaque fois accompagnée d’un commentaire sur l’histoire particulière qui a amené les femmes suisses à manifester le 14 juin, et non le 8 mars.
Comme les grèves en Espagne, les grèves en Suisse ont montré un exemple de comment le féminisme peut dépasser les limites de l’activisme petit-bourgeois et bourgeois. En effet, la grève est la forme de combat du prolétariat par excellence. Même si toutes les actions ainsi intitulées ne sont pas réellement des grèves, les actions en Suisse étaient fortement liées aux méthodes de la lutte ouvrière et à l'encadrement syndical. Comme mentionné ci-dessus, les femmes bourgeoises se sont opposées à l’utilisation de l’arme de la grève. Ces mêmes femmes ne se gênent pas de malicieusement utiliser le féminisme comme outil pour accentuer leur domination des femmes*. Avant tout, ces femmes* militent pour les quotas dans les postes de direction et contre le sexisme ordinaire, alors qu’elles laissent intactes les structures permanentes qui oppriment la majorité des femmes* sous le capitalisme.
Ce féminisme libéral confronte les femmes* aux hommes, et permet aux femmes prolétaires le plus moindre des contrôles de leur propre émancipation. C’est d’ailleurs pourquoi il est rejeté par la plupart des femmes* prolétaires. Ce que les grèves en Suisse et en Espagne ont montré aux femmes* du monde entier, c’est l’existence d’une connexion entre la lutte pour l’obtention de plus de droits des femmes* et le combat pour de meilleures conditions de travail. Que la question de l’égalité des droits est aussi une question de classe. Et qu’il y a une façon prolétaire de faire du féminisme.
Comme nous le constatons, le mouvement ne parvient pas à mobiliser les femmes*, si comme en 2011, il s’organise côte-à-côte avec les partis bourgeois. En effet, pourquoi combattre pour des choses que l’on croit acquises? Pourquoi lutter pour défendre le statu quo?
C’est en cela que la grève de 2019 constitue une véritable prouesse, capable de mobiliser les femmes* travailleuses. Elle était sûrement capable de se renforcer par l’intensification conjoncturelle du mouvement #MeToo. Mais aussi satisfait-elle certains besoins, dans la marée montante du mouvement des droits des femmes*. La direction du mouvement était située dans les syndicats, où siégeait une coalition du parti d’extrême-gauche solidaritéS, du PS, et d’autres petites organisations radicales, qui étaient plus ou moins en marge du mouvement, et avaient surtout une influence locale, comme le Mouvement pour le Socialisme (MpS) à Zürich. Cette coalition avait virulemment lutté contre une (alors) récente initiative qui visait à affaiblir l’AVS. Ce combat s’est soldé en une victoire de la gauche. Ainsi, l’habituel argument de la bourgeoisie, qui affirme qu’il n’y aurait en Suisse aucune lutte des classes ou une séparation fondamentale en politique, s’est avéré ne pas être une embûche à la grève. Cette falsification est surtout devenue possible grâce à la tromperie de la paix du travail, qui interdit aux syndicats d’appeler à la grève générale et qui est souvent présentée comme la raison de la prospérité du pays. Un mouvement comme #MeToo ou une victoire pertinente aux élections ou aux votations peut dévoiler que cette paix n’est qu’un mensonge éhonté, car il montre que le changement peut être obtenu non seulement par la convention collective de travail (CCT), mais aussi, et de manière encore plus efficace, par la grève et la protestation. Nous sommes les constantes victimes de violence sexiste, le nombre de féminicides s’accumule, la discrimination sur le lieu de travail est presque la normalité—et il ne peut y avoir de paix avant que cela ne s’arrête. La grève féministe a reçu la confiance des travailleur·x·euse·s et a proposé une plateforme pour le changement. Logiquement, nous devrions donc nous attendre à ce que le mouvement prenne de l’ampleur.
Perspectives de la grève
En 2023, la dernière grève féministe n'a pas attiré autant de femmes*. Seules 300 000 personnes sont descendues dans la rue le 14 juin. En écoutant les responsables syndicaux, la grève était encore un succès, car elle était plus radicale qu'en 2019 et a survécu à une telle échelle, malgré les attaques frontales de la bourgeoisie qui a diabolisé le mouvement. Mais si nous croyons cette explication, devrions-nous penser que les masses travailleuses de femmes* présentes en 2019—qui avait les mêmes revendications qu’en 2023 (!)—se sont dé-radicalisées ? Ce serait ridicule.
Les femmes* se sentaient abandonnées par les hommes, frustrées par la vague misogyne à laquelle elles étaient confrontées et conscientes du poids qui pesait sur leurs épaules pendant la crise COVID-19. Pourquoi n'ont-elles pas rejoint le mouvement dans la rue ? Les femmes francophones* ont fait grève dans une capacité similaire à celle de 2019. En Suisse alémanique, le mouvement a perdu de sa combativité. En effet, malgré une coordination au niveau national, chaque section syndicale cantonale construit le mouvement individuellement et concrètement. Cela signifie que la construction d'un mouvement national est toujours une histoire de reconstruction de structures de lutte de classe qui existaient déjà dans le passé. Comme c'est aux militants de chaque canton de décider s'ils veulent se lancer dans la tâche d'organisation, il y a de nombreux endroits et secteurs de l'économie où l'agitation est presque inexistante, où les femmes* sont peu protégées contre les menaces de licenciement contre les grévistes.
La grève a donc en grande partie été une grève des jeunes et des étudiants. Comme les jeunes ont très peu d'expérience sur le lieu de travail, la plupart des banderoles portent des slogans contre la violence sexuelle, et pour la libération sexuelle et l'émancipation de la jeunesse queer, que ce soit sexuellement ou en termes d'identité de genre. Un grand nombre de slogans dénonçaient le sexisme quotidien ou les commentaires sexuels indésirables. Mais presque aucun n'a abordé l'événement le plus important de l'année : le recul des droits des femmes* sous la forme de l'augmentation de l'âge de la retraite. Cela a rendu la grève en grande partie petite-bourgeoise dans sa nature, un revers par rapport à 2019.
Problème de la grève
La grève féministe a perdu sa conscience de classe et c'est la direction actuelle du mouvement qui en est responsable. En effet, la direction de la grève féministe est constituée par les syndicats, qui sont eux-mêmes dirigés en grande partie par des bureaucrates sociaux-démocrates qui profitent de la paix du travail. Une exception dans l'organisation de la grève est solidaritéS, un parti issu de la tradition trotskiste et observateur du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). Ce parti a dirigé les syndicats d'une manière commanditaire et suiviste : il s'est focalisé sur les questions LGBTQ+ et a imposé sa vision intersectionnelle aux syndicats. Mais pour conserver leur position de leader, ils ont dû faire des concessions sur tous les fronts, en particulier sur les questions économiques.
D'un autre côté, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'une grève qui n'aboutit à rien et qui se déroule de manière sporadique au fil des années puisse conserver la faveur du prolétariat. Pour alimenter la flamme de la lutte des classes, il ne suffit pas qu'un mouvement social reste constant. Il doit grandir chaque jour et gagner de nouvelles conquêtes. Les années de succès ont été liées à des luttes ouvrières réussies, à des mouvements internationaux avec des revendications claires (comme le mouvement #MeToo), et à l'arrêt d'une attaque contre l’AVS. Les grèves ont également eu un impact significatif sur les votations en Suisse, et sur les pays voisins. En 2023, l'année où les femmes* ont subi une défaite dans les urnes en raison de la victoire de l'Union démocratique du Centre (UDC), il n'y avait apparemment aucune raison de participer à une grève qui, en fin de compte, était plutôt une fête. Et ce n'est que récemment que le Tribunal fédéral a décidé qu'une réduction de peine était appropriée pour les viols "courts" !
Il est possible pour le mouvement de rester constant dans une phase de défaite, mais, alors, deux graves erreurs doivent être évitées : 1) Il est nécessaire d'impliquer davantage de secteurs économiques différents dans les grèves, en créant des comités d'action et de grève. 2) Les actions doivent être plus longues et plus larges. Pour cela, le mouvement ne doit pas s'opposer à des actions de plusieurs jours (comme l'a fait la direction de solidaritéS en 2019) et rompre avec la paix du travail réactionnaire. Cela ouvrirait le potentiel d'une grève générale à long terme.
L'inclusion de nouveaux secteurs économiques signifie également l'implication des hommes dans la lutte. Les hommes ont été les grands absents des grèves de 2019 et 2023, ce qui est symptomatique d'un programme qui ne cherche pas à construire une coalition parmi les prolétaires et les organisations de base d'un mouvement qui se focalise trop sur l'un des genres. Les syndicats ont donc besoin d'une perspective marxiste qui voit un potentiel égal dans les femmes* et les hommes en ce qui concerne la lutte pour l'égalité dans le droit du travail. Bien sûr, il est possible que seules les femmes* participent aux grèves ! C'était le cas lors des premiers jours de la révolution de février. Mais les femmes russes* n'auraient jamais pu obtenir leurs droits politiques en 1917 si elles n'avaient pas lutté aux côtés des hommes. Il est donc indispensable d'impliquer les hommes qui travaillent dans les actions futures !
Nous devons également souligner les grandes différences entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Dans la première, les organisations de gauche radicale comme solidaritéS ont eu une grande influence sur le cours des choses. Ce n'était pas le cas dans la seconde. Le MpS (qui est beaucoup plus fort dans les villes germanophones de Zurich et Bâle), bien qu'il soit aussi une organisation de tradition trotskiste et qu'il ait un statut d'observateur au SUQI, ne voulait pas investir autant de temps que solidaritéS dans la construction de la grève féministe. C'est pourquoi les organisateurs ont surtout été combatifs dans la partie francophone, la direction du mouvement en Suisse alémanique étant en grande partie assurée par des sociaux-démocrates à la tête des organes de la grève.
Actuellement, ce sont les dirigeants syndicaux qui ont le plus trahi la classe ouvrière suisse. En 1937, ils ont commencé à accepter la paix du travail qui, en substance, interdisait aux syndicats de faire grève. Le prolétariat suisse a été désarmé, car il a perdu son arme la plus puissante contre la bourgeoisie. Nous devons récupérer cette arme à tout prix ! C'est la lutte primaire que le parti de la classe prolétaire doit mener dans les syndicats. A cette époque, comme aujourd'hui, la direction des syndicats est étroitement liée au PS. C'est pourquoi les revendications des grèves féministes imitent la collaboration de classe. Ces revendications tendent à être réformistes, mais certaines forces tentent d'introduire des objectifs plus ambitieux. La nature de ces demandes n'est cependant pas spécifique à une classe particulière. Elles finissent donc par proposer peu de choses sous forme d'alternative concrète. Elles demandent par exemple la création de comités chargés de vérifier l'égalité des salaires dans les entreprises. Mais elles ne disent rien sur les personnes qui devraient siéger dans ces comités, ni sur les organes de pouvoir auxquels ces comités devraient être rattachés.
Il y a aussi un élément de la culture militante qui doit être changé : nous devons rejeter le fédéralisme bourgeois qui stérilise notre lutte. Cette structure fédéraliste permet aux bureaucrates individuels des syndicats et du PS de saboter une lutte nationale pour la libération—à leur niveau—,s'ils préfèrent écouter la paix du travail plutôt que les besoins des syndicalistes de base. Tous·x·te·s les militant·x·e·s doivent se serrer les coudes et surmonter le chauvinisme de leur époque et de leur lieu, qu'il soit cantonal, national, ethnique, masculin ou cishétérosexuel. Tout·x·e bureaucrate syndical·x·e ou du PS qui ne respecte pas les décisions nationales doit être démis·x·e de ses fonctions. Et ce, par le biais d'élections organisées démocratiquement au sein des syndicats ou du mouvement dans son ensemble.
Cette discussion se rattache naturellement à la création d'un organe capable de mobiliser les travailleurs au niveau national. En particulier, un tel organe est essentiel pour appeler à la grève générale, un outil que les syndicats suisses doivent se réapproprier. Il est donc important de mettre en place un organe qui ne soit pas démantelé après chaque grève, mais qui constitue une structure permanente. Cela permettra d'abord d'impliquer les femmes* de manière consistante et, on l'espère, de s'étendre aux industries où les femmes* jouent un rôle dominant, tout en renforçant progressivement la participation des hommes.
Cette sorte d’attitude chauviniste peut aussi être trouvée dans le rejet du 8 mars comme journée de grève. La direction de la grève préfère s’accrocher à de la fierté nationale, à la place de l’histoire internationaliste et communiste derrière le 8 mars. C’est un élément supplémentaire qui démontre la tendance réformiste et la direction du mouvement, qui est fier de concessions électorales arrivant 40 ans trop tard, plutôt que de la glorieuse victoire des femmes* de Petrograd sur la répression tsariste du 8 mars, ce qui initia une marée qui balaya la société entière. Ce combat était un facteur important qui a contribué à la fin de la Première Guerre Impérialiste, et qui a par conséquent amené les femmes* autrichiennes et allemandes à acquérir le droit de vote.
Les attaques actuelles
Nous avons été forcées à écouter les politiciens bourgeois nous dire que nous devrions travailler une année supplémentaire, passant d’un âge de la retraite de 64 à 65 ans, car les hommes travaillent jusqu'à 65 ans. Ainsi, la vicieuse vision de l’égalité bourgeoise nous fait travailler encore plus longtemps sans rémunération. En effet, en 2016 seulement, il a été évalué que les femmes* suisses travaillent gratuitement pour une valeur de 247 milliards de francs, soit un tiers du PIB du pays. La dissimulation des vraies sources d’inégalité sont évidentes pour toute femme prolétaire : l’inégalité dans la distribution du travail de reproduction sociale, la violence sexuelle, etc. C’est pourquoi les femmes* ont voté en masse contre le projet d’augmentation de l’âge de la retraite. Toutefois, la balance penchait légèrement en faveur du patriarcat (50.57%), et, en fin de compte, une défaite de toute la classe laborieuse : cette année, la bourgeoisie nous a fait voter l’augmentation de l’âge de la retraite à 66 ans. Dans leur cruelle philosophie de l’égalité, ceci va évidemment s’appliquer de façon égale aux hommes et aux femmes*. Dans le combat contre l’augmentation de l’âge de la retraite, la grève féministe va s’avérer être un outil indispensable, qui permettra la construction d’une solidarité entre les genres, et un outil contre l’offensive du capital contre les conditions de vie du prolétariat. Il est donc crucial d’insuffler une nouvelle vie dans ce mouvement.
Le combat pour un organe de la lutte des classe qui dépasse les frontières cantonales est essentiel pour la victoire de réformes isolées, comme le droit de vote des femmes*. Pour nous libérer de la violence et de l’oppression sexiste, nous devrons nous combattre au côté des FINTA+ et hommes du monde entier. La solidarité et l’internationalisme sont notre motto!
Nous pensons que les demandes suivantes devraient être vivement discutées dans le mouvement, pour que nous puissions amener à la discussion d’un programme pour la libération des personnes FINTA+ et LGBTQ+. Elles ne représentent toutefois pas encore ce programme.
1. Premièrement, nous devons défendre l’âge du départ à la retraite des femmes*. L’augmentation de l'âge de la retraite à 65 ans n'est pas seulement une attaque frontale contre le niveau de vie des femmes*, mais aussi un coup de bélier contre les conditions de la classe ouvrière, dont le fer de lance est l'instrumentalisation du sexisme. Le mouvement ouvrier doit rejoindre la grève féministe et lancer une campagne militante pour la défense de l’âge de la retraite. Ce coup à l’actuelle offensive bourgeoise doit aller plus loin que la simple défense d’un ancien combat de la classe ouvrière. La productivité des travailleur·x·euse·s a continuellement augmenté, mais l’âge du départ à la retraite a fait de même. Quel type de société doit augmenter les deux à la fois ? En outre, nous demandons un régime de retraite unifié, à l'abri de l'emprise du capital, ainsi que des prestations et des pensions complètes pour le travail à temps partiel.
2. Nous ne pouvons pas compter sur des capitalistes ou partenaires mâles bienveillants, et nous ne faisons pas confiance à l'État pour évaluer et reconnaître ce labeur vital, effectué principalement par de multiples personnes marginalisées. Ainsi, nous devons diminuer drastiquement la durée du temps de travail (7 heures par jour et 4 jour par semaine) en gardant le salaire constant, ainsi que créer un congé parental qui ne discrimine pas contre les femmes* sur le lieu de travail. Seul le combat unifié de la classe ouvrière contre le capitalisme et l’État peut réaliser ces demandes—et seule une économie planifiée démocratiquement peut répondre définitivement à la division inégale du travail de reproduction sociale. Les crises sociales et écologiques, telles que le COVID ou le dérèglement climatique, ne font qu’exacerber le besoin de soins reproductifs—nous devons nous battre pour que le fardeau de ces crises ne retombe pas exclusivement sur les femmes*, personnes queer et racisées.
3. Nous demandons que le travail de reproduction sociale soit organisé socialement, au lieu d’être distribué au sein de la famille nucléaire. Nous voulons établir des comités au sein du lieu de travail, qui partageront l’éducation des enfants (et autre travail de reproduction sociale prenant place dans la cellule familiale, comme s’occuper des personnes âgées ou d’un·x·e proche malade) parmi tous·x·te·s les travailleur·x·euse·s. Ainsi, aucune personne n’est délaissée et tout le monde contribue au bien-être de chacun·x·e et de la communauté.
4. Il faut que tous les travailleurs choisissent démocratiquement quelles industries sont souhaitables pour le bien de tous·x·te·s, et lesquelles doivent être laissées dans les poubelles de l'histoire. Nous voulons plus de travail de reproduction sociale de meilleure qualité, ce qui signifie que nous devons abandonner quelque chose. Nous n’avons aucune sympathie pour les industries automobiles et du pétrole. Nous ne voulons plus de la fast-fashion et toute autre lubie consumériste. Les décisions de quelles industries doivent être maintenues en vie doivent être prises démocratiquement dans des conseils ouvriers, aussi appelés soviets.
5. Nous désirons une délégation d’ouvrières au sein du soviet qui vérifie que le salaire soit égal, avec un indice qui lui semble approprié, et ce pour toutes les entreprises. Les femmes* sont souvent payées moins que les hommes, ou bien à cause de la discrimination machiste, ou bien car elles doivent travailler à temps partiel pour pouvoir prendre soin de leurs familles. Les ouvrières n’écouteront pas un mot des économistes bourgeois qui prétendent que le calvaire des femmes* est le produit juste et rationnel de la société “juste” et “rationnelle” qui les opprime. Au contraire, les ouvrières vont essayer de comprendre la raison de leur labeur, et découvrir l’irrationalité de la société de classe et ses ramifications patriarcales, et s’opposer radicalement à quiconque croit que c’est normal, car ça ne l’est pas : regardez comment les hommes bourgeois vivent ! Des méthodes et arguments similaires peuvent être répétés pour les personnes racisées et queer.
6. Nous demandons que les entreprises qui portent atteinte à l'égalité soient saisies et gérées par les travailleurs sans compensation pour les propriétaires actuels.
7. Nous sommes pour l’entière autodétermination des corps des femmes*. Elles doivent ne pas être soumises à la violence sexuelle et sexiste, soit-elle physique ou verbale. Elles devraient pouvoir porter ce qu’elles veulent—une jupe, un hijab, ou des mini-shorts—, sans subir des remarques sexistes ou condescendantes. Les femmes* méritent une éducation sexuelle appropriée, qui couvre non seulement la sexualité hétérosexuelle, mais aussi la sexualité homosexuelle et la santé transgenre. Cela signifie aussi une transformation radicale de la santé. Il faut une assurance maladie unifiée et publique (la caisse maladie unique) qui inclut un droit inconditionnel à l’avortement, aux produits menstruels, à la contraception, aux soins d’affirmation du genre, et un mécanisme pour combattre le sexisme et le racisme dans la santé.
8. La police et l’armée sont connues pour être très sexistes, racistes et queerphobes. Ces institutions ne peuvent pas être sauvées. C’est une caractéristique de ces institutions sous le capitalisme. Les femmes* doivent être opprimées afin de les maintenir dans leur position de travailleuses non-rémunérées et sur-exploitées. C’est pourquoi la police ne peut pas recueillir sérieusement les plaintes de violence sexuelle. C’est pourquoi une armée d’envahisseurs viole les femmes* et leurs filles. Ces institutions sont putrides et doivent être démontées totalement : par commencer en les finançant moins. Nous désirons les remplacer par les corps armés et organisés des travailleur·x·euse·s : des milices ouvrières qui imposent le régime du prolétariat et de chaque minorité, et qui soient un contre-pouvoir manifeste à la domination de la police et de l’armée bourgeoises.
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