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L’Affaire Pelicot: Comment aller plus loin?

Rosa Favre (Was Tun?)

Initialement en anglais sur fifthinternational.com


Le 19 décembre 2024, après trois longs mois, s’est abouti le procès historique de l’affaire dite «Pelicot» ou «des viols de Mazan». Pour dire que l’affaire a le nom d’une petite commune du Vaucluse, celle-ci n’en a pas moins eu une portée internationale. Près de 80 médias tout autour du monde ont chroniqué le procès de l’infâme crime dont on accusait Dominique Pelicot et 50 autres hommes: des viols sur Gisèle Pelicot, la désormais ex-femme de Dominique. L’affaire a trouvé un écho à travers toute la France, l’Europe et l’Amérique du Nord par voie du New York Times, et a sauté par-dessus la Cordillère des Andes pour atterrir au Chili.


Au terme de ce procès, tous ont été reconnus coupables de viol ou tentative de viol, sauf deux qui n’ont été reconnus que d’agression sexuelle. Six des auteurs de l’atteinte à l’intégrité physique de Mme Pelicot ressortent toutefois libres du tribunal. Sauf pour les dix-sept appels—dont aucun origine ni de Gisèle, ni de Dominique Pelicot—, il ne restera qu’une audience le 3 mars qui fixera les dommages et intérêts.


Quel est le crime?


Durant dix années (de juillet 2011 à octobre 2020), Dominique Pelicot droguait sa femme pour que des hommes contactés sur le site de rencontres coco.gg (désormais fermé) puissent la violer en sa compagnie. Durant ces crimes sexuels, Gisèle sera inconsciente et n’en gardera aucun souvenir. Il filmait les viols, et c’est ainsi que les enquêteurs avait reconnu, sur les 20’000 photographies et vidéos prises par Dominique Pelicot, 51 des 84 différents criminels ainsi enregistrés.


Cette pratique détestable avait des effets désastreux sur la santé de sa femme (perte de mémoire, endormissements diurnes, perte de poids et de cheveux). En dépit des viols continus, Dominique l’accompagnait, en bon mari, dans les entretiens médicaux qui cherchaient l’origine des maux de sa femme. Gisèle craignait alors une maladie mortelle, et alors qu’elle avait attrapé quatre MST dont le papillomavirus, Dominique, le chef d’orchestre malveillant, faisait mine de ne rien savoir.


La folie dans cette histoire, pire que ces crimes odieux, est que l’on ait dénombré 84 violeurs, et qu’aucun des nombreux médecins que Mme Pelicot avait consultés ne devina la source du mal. Aucun des hommes impliqués ne dévoila le martyr dont elle souffrait. Aucun des nombreux hommes ayant vu la publicité pour le viol de Gisèle sur coco.gg ne trouva judicieux de renseigner la police sur la traite humaine prenant évidemment lieu.


C’est en fait un sordide hasard qui permit d’attraper Dominique Pelicot. En 2020, celui-ci avait filmé sous la jupe d’une jeune femme dans une supérette. Un vigile, voyant les faits dans des caméras de sécurité, l’interpelle et appelle la police. Alors que #MeToo était encore frais dans les esprits, ce-dernier empresse la victime de porter plainte pour voyeurisme—ce qu’elle ose témérairement faire. Ainsi, les policiers confisquent son matériel informatique à Dominique Pelicot. Et c’est seulement alors que ces fameuses 20’000 photos et vidéos auront été mises à jour.


Procès du patriarcat?


Si le procès marque les esprits, c’est en partie pour l’héroïsme de Mme Pelicot. Non seulement a-t-elle survécu à ces actes ignobles. Non seulement a-t-elle amassé le courage d’aller en justice pour que chaque coupable soit condamné. Non seulement avait-elle exigé une audience publique, ainsi que la diffusion dans le tribunal de ces insoutenables preuves vidéo, au contraire des souhaits initiaux de la cour. Mais c’est elle, qui, dans le tribunal, avait l’attitude la plus digne et la plus noble. Car elle avait entrepris, de son plein gré, d’endosser le rôle de figure d’opposition à la violence sexuelle. Au cours de ce procès, elle a témoigné d’une résilience simplement héroïque, et qui a fait à juste-titre couler beaucoup d’encre.

Mais l’affaire est aussi remarquable car de nombreux journaux progressistes le désignaient «procès du patriarcat». De nombreuses féministes espéraient que ce soit aussi ce qu’il devienne. Les yeux étaient rivés vers le Vaucluse, non seulement en raison de la terreur qu'inspire la situation de Mme Pelicot, non seulement en raison de son courage hors-pair ; mais aussi car cette affaire nourrissait un espoir d’avant et d’après le 19 décembre. On souhaitait en outre des réformes drastiques en matière de droit sur le viol, ainsi qu’une révolution sur les structures de soutien aux victimes.


Et il est sûr que cette affaire fut, en un certain sens, précisément le procès du patriarcat. Les 51 coupables étaient des hommes lambda. Exerçant des métiers usuels. Des pères de famille, des époux, des fils et amis tout-à-fait normaux. Rares étaient ceux déjà connus de la justice comme des prédateurs sexuels.


Ce procès mettait justement à nu la nature systémique de la violence faite aux femmes. Dirigée au sein de la famille par l’époux, par le père, qui peut décider de faire ce qu’il veut de sa femme, de sa fille. Cette objectification a par maintes reprises été recrachée au tribunal, sans fioriture parfois. «Il fait ce qu’il veut de sa femme», tonnait l’un des accusés! Cela permettait de constater la bien haute estime dans laquelle certains hommes tiennent l’autre moitié de l’humanité.


Toutefois, bien que 45 violeurs ordinaires dormiront en prison, le patriarcat ne les y suivra pas. Des femmes se sont faites violer par leurs maris, par leurs pères, par leurs oncles, par leurs collègues, par leurs voisins, la nuit du 19 décembre. Et il faudra un miracle pour que l’une d’entre elles voit justice. De façon analogue, les scandales sur l’Abbé Pierre n’en finissent pas avec le clergé. Et c’est de même que le capitalisme ne devient pas illégal lorsque les Prud’hommes sont saisis.


C’est pourquoi le verdict fut une glaçante série de douches froides pour les féministes qui cultivaient de l’espoir de justice dans le procès. D’abord, 652 années de prison cumulées avaient été requises par le parquet. C’est bien trop peu à l’égard des preuves indéniables et au vu des 20 ans de réclusion criminelle que la loi française réserve (en principe) aux violeurs! Mais alors, la cour criminelle a fait pire: elle n’en a prononcé que 441.


La seule peine à n’avoir pas été vue à la baisse est celle de Dominique: 20 ans de réclusion criminelle. Ce qui choquait, en outre, la bonne-conscience bourgeoise, ce n'est pas tant 50 violeurs, mais qu'un mari se fasse proxénète de sa propre femme. Somme toute, la majorité d’entre eux étaient les «bons» violeurs. Ceux qui violent (une inconnue) car le cadre familial le leur permet. Bien loin des monstres qui violent une inconnue à l’arrachée à côté d’une bouche d’égout! C’est ce que leur peine moindre a démontré: rares étaient les «mauvais» violeurs, ceux du même calibre que Dominique Pelicot.


Et c’est tout ce que la défense visait à démontrer. Les violeurs se disaient, certainement sous conseil de leur avocat, «trompés» par Dominique. S’ils eussent étés plus éloquents, ils auraient décrit un Machiavel des temps modernes. Certains avocats osaient carrément spéculer sur le fait que Gisèle ait réellement été une libertine qui tendait un malicieux piège pour détruire la vie de ces vaillants époux, fils, et amis. Le plus abject d’entre eux, croque-mort, affirmait croire Gisèle morte, alors que les caméras enregistraient ses ronflements. Comme si cela amoindrirait son crime! Et comme si cela ne glace pas le sang des familles endeuillées ayant demandé ses services pour préparer le corps d’une défunte!


La défense s’est en outre comportée en front de défense pour la violence faite aux femmes. Un avocat avait notamment défrayé la chronique en décrivant les femmes qui assistaient à l’audience comme des «tricoteuses de la révolution qui attendaient, devant la guillotine, que les têtes tombent». Sortant du tribunal le 19, celui-ci a provoqué l’assistance, sous les huées, en lançant des «Tricoteuses! Tricoteuses!». Une autre avocate avait partagé sur TikTok une vidéo d’elle dansant sur «Wake Me Up Before You Go-Go» du groupe de pop Wham!.


C’est donc bien le pari de l’humiliation de la victime qui a payé. Bien que le souhait de Mme Pelicot ait été que «la honte change de camp». Rien de nouveau.


Malgré toute la haine que ces véritables avocats du diable nourrissent dans les cercles féministes, ils sont à bien des égards une arrière-garde de la violence patriarcale. C’est qu’en effet, ils n’interviennent qu’au plus tard, dans les plus graves des circonstances. Leur malhonnêteté ne peut que sauter aux yeux du public.


La violence patriarcale est pourtant bien plus insidieuse quand elle prend place dans la famille. Un patriarche peut utiliser l’institution familiale pour s’y faire un tyran ; mais un homme respectable hors d’elle. Par un double jeu sur la possession de la famille par l’homme, les femmes et filles la composant peuvent être prises en tenaille et sous la domination entière du patriarche. Cela passe par la dépossession des ressources économiques pour être gérées par celui-ci, et l’herméticité du cocon familial du reste du monde.


Et à ce sujet, il y a un silence assourdissant dans le drame familial qu’a été le procès Pelicot. Ceci concerne les photographies retrouvées de la fille de Gisèle Pelicot, Caroline Darian, en culotte, alors qu’elle dormait. Il n’y a toutefois, contrairement à Gisèle, aucune preuve du crime d’inceste, bien qu’il soit malheureusement plus qu’envisageable au vu de la similarité des modus operandi. Il n’y a donc pas assez de fondement pour que celle-ci puisse attaquer son géniteur en justice.


Ce silence dévoile donc l’angle mort de ce procès. Gisèle Pelicot est la victime parfaite. Blanche, mariée durant 50 ans avec le même homme, hétérosexuelle, cisgenre, possédant bien plus de preuves qu’il n’en faut pour affirmer la culpabilité des accusés. Sa fille, en vertu du tabou de l’inceste et du manque de preuves, ne pouvait bénéficier du luxe de pouvoir sereinement poursuivre en justice son tortionnaire présumé.


Ce procès n’a achevé qu’un progrès marginal pour une meilleure loi contre les abus sexuels par soumission chimique. Il n’a sinon pas réussi à améliorer la jurisprudence en ce qui concerne les standards des preuves requises pour déterminer la culpabilité du viol. Entre autres, le code pénal français ne définit toujours pas le viol comme manquement au consentement. Il n’a pas non plus réussi à faire éclore des initiatives pour mieux protéger les victimes de viol, qu’il soit conjugal ou non. Bien qu’il ait réussi à centrer la question de la cellule familiale comme facilitatrice des violences sexuelles, il n’a pas engendré une discussion sur les changements nécessaires à cette structure-ci. Finalement, il n’a pas non plus entraîné derrière lui un mouvement de masse.


Le Mouvement Social


Malgré l’ampleur des discussions que ce procès a provoquées, et malgré la conscientisation massive de la problématique du viol dans la cellule conjugale—lieu principal où il a lieu—, le mouvement social n’était que très maigre. La faiblesse du mouvement social a contribué à renforcer la nature du procès non comme un moment de lutte sociale, mais comme un spectacle où Gisèle Pelicot était donnée en pâture aux charognards qui l’ont violée ainsi qu’aux avocats de la défense.


Bien loin de n’avoir que des effets locaux, le manque d’implication directe des masses a eu des répercussions internationales dans la médiatisation du procès. À l’étranger, elle a permis à la forme dominante, notamment libérale, du féminisme d’imposer sa vision de l’affaire Pelicot. Ce féminisme-ci a jubilé que grâce aux superbes lois de son pays, l’on y était immunisé à un tel drame! Celui qui honnit les explications sociales comme le patriarcat, pouvait alors s'en donner à cœur joie pour faire la psychanalyse de Dominique Pelicot—un exercice non seulement superflu, mais qui permet habilement de troquer éducation populaire contre ésotérisme et pitié pour le principal accusé. La quasi-absence de solidarité à Mme Pelicot dans les rues françaises est co-responsable de cette cooptation du procès à des fins chauvines.


Les rassemblements en soutien à Mme Pelicot, organisés par la section radicale du féminisme français, n’étaient que très rares et très petits (les rassemblements parisiens ne comptabilisant qu’une poignée de participant·x·e·s). Ceux-ci occultaient toute perspective qui 1) ne vienne pas d’une «victime privilégiée» ou 2) qui ne s’ancre pas dans une perspective institutionnaliste.


La faiblesse des manifestations ne provient pas d’une marginalité du féminisme «radical» en France ; c’est même plutôt le féminisme libéral qui peine à faire valoir sa vision. D’ailleurs, pour le coup, leur appel moraliste habituel n’était tout simplement pas convaincant. Être anti-#MeToo, décrier la justice populaire, défendre contre-productivement la présomption d'innocence, faire l’autruche quant aux causes profondes, ce n’était pas accrocheur dans ce cas-ci, alors que le féminisme «radical» occupait déjà plus de terrain et apportait des explications bien plus sensibles.


Comprenons l’anatomie des rassemblements de soutien à Mme Pelicot. Des militantes féministes petites-bourgeoises y amenaient leurs partenaires masculins. C’est somme toute le premier pas qu’un homme doit faire afin de confronter ses préjugés sexistes, la première embûche à la solidarité avec la lutte pour la libération des femmes. Toutefois, ceux-ci avaient tendance à regarder toute femme visiblement marginalisée (racisée, lesbienne, trans, etc.) avec l’instance de celui qui ne les considère pas ses égales. Qui plus est, ils jouaient l’auto-flagellation à travers une dénonciation performative «des vilains hommes» dont ils feraient partie. S’ils étaient réellement affamés de justice, comme le sont de nombreux hommes dans des organisations féministes ou partis communistes-révolutionnaires, ils se seraient à la place montrés prêts à mobiliser leur entourage pour lutter ardemment pour la libération des femmes à leurs côtés.


Une des causes de cette absence de mouvement était l’attentisme des militantes féministes qui déclaraient que l’affaire était «si grosse que» la défense était forcément ridicule, «si grosse que» le changement devenait inévitable. Mais si les institutions bourgeoises changeaient face au «bon-sens» des opprimé·x·e·s, cela ferait longtemps que celles-ci auraient torpillé leurs propres fondations. Pour les bourgeois, patriarches, etc., le «bon-sens» ne s’apprend pas par une missive poliment rédigée, mais par le marteau de la lutte sociale. C’est pour cela qu’un mauvais-goût sous-tendait le traitement de l’affaire par la direction féministe en France: il y avait une sorte de jubilation inavouée à ce que l’affaire soit aussi catastrophique.


Pour comprendre toutefois les conséquences qu’aura cette affaire sur les luttes féministes futures, il faut traiter de la question de #MeToo. Car la raison de la faiblesse des manifestations en soutien à Gisèle Pelicot, réside en que mouvement #MeToo est à bout de souffle.


Pourquoi faire un tel parallèle? Premièrement, car c’est lui qui a permis en tout premier lieu à l’affaire d’exister. C’est deuxièmement car c’est la syntaxe de #MeToo qu'emploient les militantes solidaires à Gisèle Pelicot. Troisièmement, c’est son cadre de pratique qui en a fait ce que l’affaire Pelicot était: le tribunal et la condamnation formelle des violeurs par l’État. Et finalement, tous ces éléments réunis, cumulés à la gravité de l’affaire, en font une sorte de point culminant de ce mouvement mondial. C’est cela qu’elle a d’universel, et pourquoi l’affaire a fait le tour du monde.


C’est pourquoi il nous faut mieux comprendre d’où part le mouvement, afin de bien décrypter sa direction.


#MeToo a permis à bien des femmes de se former sur l’oppression qu’elles subissent. Une génération de militantes féministes a conscientisé sa condition de femme par ce mouvement. Mais le mouvement n’est accrédité que de peu de succès matériels. L’on récolte certainement plus de plaintes, signe positif d’une parole qui se libère. Mais l’on pourrait notamment s’attendre à ce que la proportion de violeurs ou victimes diminue, ou bien que celle des violeurs incriminés augmente. Or, la tendance est au pire selon ces métriques, ce qui ne peut nous laisser qu’un goût amer.


C’est bien car #MeToo n’est en dernière instance qu’une association de personnes aux idées similaires sur les réseaux sociaux. Un mouvement profondément désorganisé, sans direction ni revendication ; qu’un vague appel à «l’éducation» (qui doit en être la cible? la réponse n’a jamais fait consensus au sein du mouvement), et dans lequel la lecture de classe ne prévaut pas. Un mouvement sans base de classe bien définie n’est, a fortiori, que petit-bourgeois.


Autant dire que le cadre institutionnel de l’affaire n’a à aucun point été confronté, ce qui fait écho à la vision réformiste de la petite-bourgeoisie progressiste. Mais ceci rappelle aussi la façon fragmentaire qu’a la conscience féministe de se construire. Avant tout vient l’expérience directe de la violence patriarcale. Et la première réponse qui puisse venir à ceci est le désir de justice, de punition du responsable.


Mais du bon-sens que toute victime mérite justice, éclot l’idée relativiste que la forme correcte que la justice doive assumer, est celle que désire la victime—notamment dans le tribunal—malgré son caractère inatteignable, individualiste, et les indignités que la plaignante confronte sur le chemin. C’est ainsi que s’est constituée une génération de féministes qui cherche justice dans le tribunal bourgeois et patriarcal. L’institution fondée sur ces mêmes oppressions qu’elle serait supposée dénoncer et punir adéquatement. Sauf que toute institution basée sur le pouvoir ne peut se remettre en question à un tel degré. Sinon, ce même pouvoir devient illégitime.


Ces critiques-là des tribunaux émanent évidemment aussi des organisations féministes, les premières à être confrontées à la violence extrême qu’ils peuvent employer pour écraser et démoraliser toute victime d’abus sexuel. Toutefois, les féministes restent bloquées dans la critique stérile. Car au final, nombre d’entre elles n’envisagent la justice qu’à travers ces institutions. Plus que la finalité, la justice devient aussi le moyen. Elles deviennent donc, au même titre que les bureaucrates syndicaux dans la lutte économique, les expertes du système bourgeois et du marchandage avec ce dernier.


Face au verdict décevant, nombreuses seront les féministes qui ne sauront aller de l’avant. Car après tout, il était censé y avoir un «après-Mazan». Le pire cours des événements serait de voir en certains avocats individuels, certains champions du viol sans représailles, les ennemis à terrasser pour enfin obtenir des progrès en matière de droits des femmes. Car au contraire de commencer dans un tribunal ou sur un plateau télévisé, la violence patriarcale débute là où elle s’exerce avec le moins de résistance possible: la famille. Pour cela, il faut, à la place de commencer par la violence, par la politique, suivre la méthode de Marx au sujet du capitalisme: commencer par l’unité économique et l’exploitation du travail.

Dans le cas présent, il faut comprendre le travail reproductif non rémunéré au sein de la famille. Il faut aussi comprendre que le sexe figure parmi les corvées qu’il incombe aux femmes d’accomplir afin de ne pas risquer de punition sociale. Plutôt que de se faire selon les termes acceptés par les deux partis, la femme doit l’effectuer selon les instructions patriarcales. On pourra alors comprendre que dans le cadre du couple hétérosexuel, le sexe est forcément arraché aux femmes, qu’il ait l’air consensuel ou de viol. Car tant qu’il incombera à chaque femme de satisfaire sexuellement son homme, d’effectuer un travail moins ou non-payé pour un mari ou un patron, le patriarcat aura de beaux jours devant lui.

C’est pourquoi il nous faut nous battre pour la libération des travailleuses du joug capitaliste et patriarcal conjoint. Cela ne pourra se faire qu’à travers des réformes-clé ainsi que des demandes transitoires, qui pourront être adoptées par les travailleur·x·euse·s en lutte, si tant est qu’elles résonnent avec elleux.


Pour que la violence sexiste et sexuelle (VSS) ne soit pas perpétuée dans la famille, il faut qu’elle soit en priorité confrontée en public. Le lieu de travail est un foyer privilégié pour ces violences. Renforçons le code du travail pour protéger les travailleuses des affronts des collègues, clients et supérieurs. Pour que des comités d’usine et de quartier organisent des formations obligatoires sur les VSS.


Les milieux militants, surtout ceux où la hiérarchie est la plus marquée et où les femmes sont les plus systématiquement reléguées à des tâches organisationnelles, répliquent aussi ces violences qui n’ont rien à voir avec notre classe. Les mêmes demandes doivent y être faites. Là où des femmes syndicalistes se plaignent des manœuvres bureaucratiques qu’emploient les directions syndicales pour étouffer les affaires de VSS, nous devons intervenir. Aidons-les à dénoncer l’inertie du système et l’absence de ou carence en structures pour défendre le bien-être des adhérentes et militantes.


Suite à un viol, l’intimidation sexiste de la victime commence dès le poste de police. Cela, il n’y a aucune chance de le réformer. Exigeons que des milices ouvrières la remplacent. Dès lors, nous pourrons créer des commissions composées d’ouvrières qui traiteront les signalements/plaintes avec plus de respect, puisque d’égales à égales.


Les tribunaux, à cause des frais d’avocat, sont hors d’accès pour une trop grande quantité de femmes. Quelques associations caritatives locales peuvent procurer les ressources économiques pour ce faire, mais doivent trier les victimes sur le volet, selon que la condamnation soit plus ou moins probable. Il faut nationaliser les services d’un large éventail d’avocat·x·e·s spécialistes en la question, et à cette fin ouvrir au plus large les portes des universités.


Ces derniers points ont trait à la dernière ligne de défense. Pour prévenir le problème, aménageons des logements pour que les femmes et leurs enfants puissent échapper à tout patriarche. Mettons à disposition des ressources comme des lignes téléphoniques d’urgence. Accordons aussi des moyens pour ré-éduquer les fautifs, bien qu’il faille toujours faire attention à ne pas les sur-prioriser: ils ne sont jamais les premiers lésés!

Quant au sujet de l’oppression au sein de la famille, il n’existe malheureusement pas de réforme-miracle que le capitalisme puisse proposer ; car bien des progrès se paient au prix de pertes sur d’autres aspects. Luttons au contraire pour la socialisation du travail effectué dans la famille nucléaire, pour que cette dernière vienne un jour à s’éteindre car elle aura alors essoufflé sa nécessité historique. Cela pourrait se faire notamment en répartissant le travail d’entretien des enfants et de nos aïeuls entre collègues ou en socialisant le travail comme la cuisine ou la lessive.


Photo de couverture: www.freemalaysiatoday.com


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